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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

« Les Clairières », Raymond Delley

Dans Les Clairières, Raymond Delley entraîne le lecteur dans un récit captivant, où le passé se fait à la fois souvenir et énigme à résoudre. Antoine, avocat et père de famille, mène une vie paisible jusqu’au jour où une image bouleversante envahit son esprit : « Depuis le moment où, sur la route, il avait remarqué la flaque de lumière, il avait l’impression qu’une force, une attirance mystérieuses avaient pris en charge ses gestes et ses pensées.

La maison était à l’abandon. Les façades s’écaillaient en taches grises et en cicatrices sombres, les volets pendaient de guingois comme des feuilles mortes, les fenêtres ne reflétaient plus rien, alignaient d’étranges trous noirs sur les murs, une porte-fenêtre était obstruée par quatre planches maladroitement fixées. Dans l’herbe près de la terrasse, deux chaises longues recouvertes d’un tissu rouge vif étaient renversées ; un peu plus loin, un ballon, des raquettes, un jeu de boules tachetées de rouille avaient été oubliés sur le gazon ; au fond du jardin, un vélo d’enfant gisait dans l’herbe, une des roues oscillant doucement sous la brise… […]. Mais bientôt l’Image se métamorphosa lentement, subtilement. Le regard d’Antoine fut attiré par une fenêtre du premier étage qui semblait prendre feu. Il pensa d’abord que c’était la lumière du soleil qui s’y reflétait comme dans un miroir, mais le feu continuait à brûler, de plus en plus vif, de plus en plus ardent. La fenêtre maintenant flambait littéralement, formant sur la façade qui glissait lentement dans la pénombre une blessure sanglante. Le regard d’Antoine restait cloué à cette plaie vive par laquelle la maison tout entière semblait saigner et une angoisse sourde, une souffrance muette le figeaient sur place. »

Cette vision résonne comme un coup de tonnerre dans l’esprit d’Antoine, elle fait éclater sa réalité tranquille et l’oblige à entreprendre une quête vertigineuse de vérité.

« Antoine n’avait presqu’aucun souvenir de la maison où il était né. Il avait à peine cinq ans lorsque son père avait décidé de quitter Rougemont pour venir s’installer avec toute sa famille sur les hauts de Fribourg, aux Peupliers. De la maison de sa naissance, il avait gardé seulement le souvenir d’une forme vague, haute et sombre, une image tremblée, semblable à ces photographies où le sujet a bougé. Et pourtant, il n’avait aucun doute : la façade qu’il avait entrevue quelques jours auparavant dans l’Image, qu’il avait fini par reconnaître lorsqu’elle s’était pour ainsi dire substituée à celle de la maison mystérieuse, qui s’était comme matérialisée devant ses yeux, avec sa fenêtre sanglante, c’était bien à la maison de Rougemont qu’elle lui avait tout de suite fait penser, celle dont on parlait rarement chez les Garmelain ; et lorsque cela arrivait, on disait simplement : La Renardière

Au fil des pages, le lecteur plonge dans l’âme d’Antoine, qui, tel un enquêteur de l’intime, explore chaque recoin de son passé pour comprendre l’origine de cette image obsédante.

Ce n’est pas seulement une maison délabrée qu’il tente de reconstruire, mais une fresque existentielle, une quête identitaire où chaque pièce retrouvée bouleverse un peu plus l’équilibre fragile de sa vie. La métaphore de la clairière prend ici tout son sens : Antoine cherche une lumière, une clarté au milieu des ombres d’un passé longtemps occulté. Mais ce qu’il découvre pourrait bien être une révélation dévastatrice qui redéfinira sa perception du monde et de lui-même.

L’écriture est à la fois précise et profondément immersive, ciselée avec une sensibilité presque proustienne, où le poids des souvenirs prend des tonalités à la fois nostalgiques et angoissantes. Le lecteur est happé dans cette descente aux profondeurs de l'âme, captivé par une intrigue qui se déploie avec une intensité croissante, jusqu’à la dernière page.

Les Clairières est un voyage haletant vers la mémoire et la vérité, où chaque découverte est une pièce d’un puzzle qui pourrait tout bouleverser. Une histoire qui, sous son apparence tranquille, cache un secret prêt à exploser.

 

Valérie DEBIEUX (2024)

20 vues2 commentaires

2 Comments


Raymond Delley
Raymond Delley
il y a 2 jours

Merci, chère Valérie, pour ce regard plein de finesse et de perspicacité sur mon premier roman. Vous m'avez presque donné envie de le relire ! Et évoquer Marcel Proust, quel plus beau compliment !

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Valérie  DEBIEUX
Valérie DEBIEUX
il y a 2 jours
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Avec plaisir, cher Raymond ! Il est rare qu’une œuvre suscite autant de résonances intérieures. Bravo à vous ! Je vous souhaite beaucoup de succès dans la suite de votre belle aventure littéraire !

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