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Photo du rédacteurValérie DEBIEUX

"L'ami barbare", Jean Michel Olivier

« Comme le football, le mythe et le poème épique naissent dans la tension qui existe entre l’injustice, l’erreur humaine et le geste. Un geste de salut, de demande de pardon. D’administration. Et cela dure depuis Achille, depuis Ajax, depuis Hector… Et tous les entraîneurs devraient faire lire Homère à leurs joueurs ! »

~ Héros de cet ouvrage alias Roman Dragomir


Roman Dragomir, né en Yougoslavie en 1930, est un éditeur hors du commun. Il vit comme un « romanichel » et parcourt des kilomètres avec sa camionnette, sur les petites routes de France, « le vague à l’âme dont souffre l’éternel exilé parce qu’il est loin de sa terre natale et qu’à jamais il en éprouve la nostalgie. […] Cette camionnette, tu l’as ramenée de Paris comme un trophée de guerre. C’est ton bureau et ta maison. La maison de La Maison. C’est là que tu vas recevoir tes écrivains, écrire ton courrier, tenir les comptes de La Maison ».

 

De la campagne à la ville. De la ville blanche à Trieste. De Trieste à la Suisse. Roman Dragomir a toujours été sur les routes. On ne sait jamais où il est. Toujours en quête du manuscrit exceptionnel, et ces équipées en camionnette ressemblent à un véritable roman d’espionnage. « Le livre est un sésame, dis-tu. Il te permet de voyager dans l’espace et le temps. D’abolir les frontières. Il te fait découvrir des univers inexplorés. Il faut toujours avoir un livre dans sa poche… […] Derrière chaque livre, il y a un ami qui vous attend et qui vous parle. Il suffit de tendre l’oreille. […] En 1958, après une longue convalescence, tu veux rentrer dans ton pays, mais tes amis te mettent en garde : tu risques la prison comme ton père. Qu’importe ! Une nuit, tu disparais. Tu montes dans le train, sans billet. […] En gare de Vienne, tu sautes par la fenêtre. Un vigile te poursuit. Tu disparais dans le métro. […] L’année suivante, on te retrouve à Londres, lors d’un congrès d’écrivains en exil. Tu assistes aux débats… […] Au moment de monter à la tribune, où tu dois faire un discours, tu disparais dans la foule et personne ne sait où tu es passé. [..] À Marseille, on t’aperçoit sur le Vieux-Port, accompagné d’un dénommé Slatkine, ancien caïd au crâne pelé. Vous écumez les bars, un couteau à la main, à la recherche d’un maquereau qui vous doit de l’argent […] On fouille ton appartement. On découvre des tracts et des brochures en langue cyrillique, un revolver, des cocktails Molotov. On te soupçonne d’être un espion. On te confronte aux caïds de la pègre locale. Tu ne connais personne et personne ne te connaît. On finit par te relâcher, mais on te confisque tes carnets de laitier et tes livres. […] Le monde est malade. […] Il est à l’agonie, coupé en deux par un rideau de fer. À l’Est, la dictature communiste, l’absence de liberté, la négation de l’homme. À l’Ouest, la tyrannie marchande, le luxe obscène, la fausse égalité, la dépression rampante… Et partout des barrières, des frontières… »

 

Intarissable sur les femmes, le football et les livres, Roman Dragomir, aura permis de mettre la lumière sur des ouvrages de littérature serbe et russe, ainsi que sur de nombreux auteurs suisses comme Georges Haldas. La vie de cet éditeur, à la fois romanesque et rocambolesque, est une succession d’événements aussi incroyables qu’imprévisibles. Ni les souffrances - qu’elles soient physiques ou morales, ni les menaces, ni la surveillance des autorités, ni les difficultés financières, ni les accidents routiers à répétition ne l’arrêteront, jusqu’à ce jour du 28 juin 2011 où sa camionnette rentrera en collision avec un tracteur. 

 

À travers ce très beau texte, Jean-Michel Olivier rend un vibrant hommage à Vladimir Dimitrijevic, fondateur de la maison d’édition « L’Âge d’Homme », qui, cette année, fête ses 50 ans d’existence. Ce roman fait revivre l’excellent passeur de culture que fut Vladimir Dimitrijevic, à la personnalité à la fois « désœuvrée » et « frondeuse ». La fresque de toute une vie défile sous les yeux du lecteur, avec émotion, humour, poésie et virtuosité. Bluffant…   

 

Valérie DEBIEUX (2014)



(Éd. de Fallois/L’Âge d’Homme, août 2014, 300 pages)



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